analyse

Maxime Bernier, chef grâce au Québec ?

Ottawa — Après avoir dirigé deux gouvernements minoritaires de suite, l’ancien premier ministre Stephen Harper a remporté son premier mandat majoritaire en 2011 en obtenant un appui marginal au Québec : cinq petits sièges seulement.

Mais si Stephen Harper a pu gouverner à sa guise pendant quatre ans sans véritable appui dans la Belle Province, aucun des 13 candidats qui tentent de lui succéder à la barre du Parti conservateur ne peut, paradoxalement, espérer remporter la course sans obtenir de larges appuis au Québec.

Car les règles entourant l’élection du prochain chef conservateur, établies en 2003 au moment de la fusion entre l’Alliance canadienne et le Parti progressiste-conservateur, font en sorte que chacune des 338 circonscriptions au pays, peu importe le nombre de membres, détient le même poids dans la sélection du chef (100 points).

Tel est d’ailleurs le legs de l’ancien chef du Parti progressiste-conservateur, l’ex-ministre Peter MacKay, qui avait insisté pour que chaque circonscription ait le même poids dans le choix du chef afin d’éviter une prise de contrôle hostile de l’Alliance canadienne. Cette mesure visait aussi à s’assurer que le nouveau parti né de la fusion demeure sensible aux préoccupations du Québec et des provinces atlantiques.

Résultat : le Québec, qui compterait moins de 10 % des membres du Parti conservateur (5000 membres en règle), aura la voix la plus influente de la course qui connaîtra son dénouement le 27 mai. Le Québec détient en tout 78 circonscriptions à la Chambre des communes, soit près du quart.

Les candidats qui ne parlent pas adéquatement le français – au moins la moitié des 13 candidats en lice – peuvent donc difficilement commencer à rédiger un discours de victoire en prévision du vote du mois de mai. 

La piètre maîtrise de la langue de Molière des Brad Trost, Erin O’Toole, Lisa Raitt, Andrew Saxton, Deepak Obhrai et même Kellie Leitch sera d’ailleurs en évidence, demain soir à Québec, lorsque les candidats croiseront le fer durant le premier débat en français de la campagne.

Un sondage mené en décembre auprès de 900 membres du Parti conservateur pour le camp de Maxime Bernier illustre d’ailleurs l’importance du Québec dans cette course.

Ce sondage révèle qu’il y a une triple égalité dans les intentions de vote des membres dans le reste du Canada entre Kellie Leitch (21,10 %), Lisa Raitt (19,67 %) et Maxime Bernier (19,56 %) au premier tour de scrutin. Les autres candidats qui se démarquent quelque peu sont Brad Trost (11,05 %), Erin O’Toole (9,72 %) et Michael Chong (8,84 %), selon ce sondage qu’a obtenu La Presse. Même s’il a recueilli jusqu’ici le plus grand nombre d’appuis de la part de ses collègues députés, dont quatre députés du Québec, le candidat Andrew Scheer ne semble pas susciter l’enthousiasme des membres du parti, ne récoltant que 5,86 % des appuis au premier tour si l’on se fie à ce sondage.

Maxime Bernier voit ses appuis croître au deuxième tour. Il est le choix de 32,35 % des militants du parti, devançant Lisa Raitt (30,96 %), Kellie Leitch (23,07 %) et Andrew Scheer (13,62 %).

Mais c’est au Québec que le député de Beauce fait le plein des appuis, toujours selon ce sondage qui a permis de prendre le pouls d’une centaine de membres dans la province. En effet, Maxime Bernier récolte 49,83 % des appuis et l’autre candidat du Québec dans cette course, le député Steven Blaney, arrive bon deuxième avec 29,17 %. Les autres candidats doivent se contenter de grenailles. Michael Chong recueille seulement 10,50 %, Brad Trost et Kellie Leitch, 4,17 % chacun, Lisa Raitt, 2,17 % tandis qu’Andrew Scheer et Erin O’Toole ne sont aucunement sur le radar.

Au deuxième tour au Québec, Maxime Bernier accroît ses appuis (71,43 %), devançant largement Lisa Raitt (18,57 %) et Kellie Leitch (8,57 %).

« Avec de tels résultats, Maxime Bernier a de bonnes chances de l’emporter, surtout quand on tient compte des intentions de vote des membres au Québec », a souligné une source conservatrice de l’ouest du pays qui a réalisé le coup de sonde et qui souhaite conserver l’anonymat.

Le camp de Kellie Leitch a indiqué que les sondages internes qu’il a menés auprès des membres donnent essentiellement les mêmes résultats. « Dans nos sondages, Maxime Bernier est légèrement en avance dans l’ensemble du pays. Mais la bataille est très serrée entre lui et Kellie Leitch, et il nous reste encore beaucoup de temps avant le jour du vote », a confié à La Presse un stratège conservateur qui appuie Mme Leitch. Durant la course, celle-ci s’est retrouvée sur la sellette en promettant d’imposer un test des valeurs canadiennes aux immigrants qui souhaitent s’installer au Canada.

Les sondages internes menés par les divers camps ne tiennent pas compte de l’effet de l’éventuelle entrée dans la course de l’homme d’affaires unilingue Kevin O’Leary. 

Kevin O’Leary, qui juge que ce n’est pas nécessaire de parler français pour devenir chef du Parti conservateur, pourrait confirmer ses intentions au cours des prochains jours, après la tenue du débat en français. 

M. O’Leary, qui est natif de Montréal, a déjà fait valoir que les jeunes Québécois sont bilingues et qu’il devient donc futile d’apprendre la langue de Molière. Il a toutefois corrigé quelque peu le tir la semaine dernière en se disant prêt à suivre des cours de français.

M. O’Leary a tenté de courtiser les députés conservateurs du Québec, la semaine dernière, en les conviant à une rencontre à Boucherville mercredi. Selon des informations obtenues par La Presse, seulement trois ont accepté son invitation. « Il a démontré une totale incompréhension du Québec. Je ne pense pas qu’il sait comment s’y prendre pour devenir chef », a indiqué un député conservateur qui a participé à la rencontre et qui a requis l’anonymat.

Il reste un peu plus de quatre mois à cette longue campagne à la direction. Les jeux d’alliance ne font que commencer. Mais si Maxime Bernier réussit à coiffer ses adversaires au fil d’arrivée le 27 mai, il pourrait bien devoir une fière chandelle à Peter MacKay, qui s’est battu bec et ongles pour donner une voix au chapitre au Québec et aux provinces atlantiques.

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